qui ne connaît pas la paix !

La guerre est horrible. Elle l’a toujours été. Il y a juste beaucoup de gens qui se sont laissé raconter des contes par la propagande de guerre de leurs propres gouvernements. De « maintien de la paix », d’interventions militaires dans des « régions fragile », des coups contre de prétendus terroristes, de guerres technologistes sans “victimes civiles”. Des histoires de la guerre contre les méchants, sans sang ni misère. Depuis l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe le 24 février 2022, on se souvient de ce que signifie réellement la guerre : des morts, des blessés, des gens qui fuient. La panique dans les yeux des adultes, qui se demandent ce que le lendemain leur apportera, et des enfants qui ne comprennent pas la situation et qui sont pourtant assis sur les valises.

Le pouvoir ne connaît que une paix hypocrite. C’est la paix du cimetière, dans lequel se trouvent tous les cadavres produits par le pouvoir !

On pourrait commencer à expliquer la guerre actuelle en termes géopolitiques et politiques. Discuté, si la Russie entame une fuite en avant avec cette guerre, car les puissances occidentales (Etats-Unis, UE, OTAN) tentent de la repousser hors de la mer Noire ; ou, si l’État russe veut s’établir comme force globale sur le marché et s’accommode ainsi de centaines de milliers de victimes ; si Poutine met sans scrupule en péril la « paix » entre les puissances mondiales parce qu’il remet en question de manière offensive l’hégémonie américaine (qui s’effrite depuis des décennies) ; ou encore si la guerre ukrainien est une expression de la restructuration de l’ordre mondial et provoque une guerre mondiale ? Cependant, toutes ces explications et d’autres explications de la guerre en Ukraine ne peuvent pas masquer le fait que l’essence de la guerre réside dans l’État et le système capitaliste lui-même. Le pouvoir ne connaît que la paix sociale et la paix du marché. Une paix hypocrite. C’est la paix du cimetière, dans lequel se trouvent tous les cadavres produits par le pouvoir !


La guerre en Ukraine est l’expression de différents intérêts capitalistes qui sont en concurrence les uns avec les autres. Il s’agit de la position des États nationaux sur le marché global. Il s’agit d’obtenir des avantages économiques par la conquête de marchés, le développement d’infrastructures, un accès plus direct aux ressources et leur contrôle. On peut donc se poser la question des intérêts de la Russie, des Etats-Unis, des Etats européens et des organisations supra-étatiques. Même si l’État russe mène cette guerre de manière agressive, aucun État n’est prêt à mettre en péril sa position économique pour la paix (en Ukraine). Pas la Chine, l’Europe moins que quiconque et probablement un peu plus les Etats-Unis (en raison de l’effondrement de leur ancienne position hégémonique et de leur éloignement du champ de bataille). Toutes les puissances économiques étatiques (y compris l’Inde et la Turquie, par exemple) s’efforcent de limiter les “dommages collatéraux” sans mettre en péril leur propre position économique. L’Europe a hésité à fournir une aide militaire à l’Ukraine et même cette aide a été minutieusement évaluée. Parallèlement, tous les États peuvent profiter de cette “opportunité” pour se renforcer militairement. “Au mieux”, des sanctions sont imposées à la Russie. Cependant, la guerre en Ukraine (et ce depuis l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014) montre que l’économie mondiale est si complexe que les sanctions contre la Russie touchent toujours sa propre économie. On ne peut que considérer les sanctions comme hypocrites. Notamment en ce qui concerne la dépendance énergétique de l’UE vis-à-vis de la Russie : à ce jour, “la guerre de Poutine” génère 750 millions par jour de l’UE pour le pétrole et le gaz. En contrepartie, l’État russe lui-même menace d’arrêter ses exportations, ce qui entraînerait une crise énergétique (car la Russie est en outre le deuxième producteur d’aluminium et de gaz et le troisième producteur de nickel et de pétrole). Il n’est pas nécessaire de se demander deux fois à qui profite l’augmentation du prix de ces matières premières. Déjà en 2014, après la sanction de la Russie suite à l’annexion de la Crimée, la Russie a conclu simultanément avec la Chine un contrat historique de livraison de gaz sur 30 ans pour un montant de 400 milliards.

La guerre n’est pas en dehors des conditions capitalistes, mais en plein milieu, et les affaires continuent, pendant que des gens meurent en Ukraine

Un embargo par des pays occidentaux ne peut rester que des paroles en l’air. Même l’économiste en chef de la Commerzbank déclare : “Les gouvernements occidentaux n’étaient et ne sont pas prêts à risquer une crise énergétique”. L’importance de l’économie dans la guerre se manifeste également par le fait que, pendant que des maisons sont bombardées, que des laboratoires chimiques deviennent des cibles militaires et que les civils ne peuvent pas fuir en toute sécurité des villes encerclées par l’armée russe, les pipelines de gaz (qui vont de la Russie à l’Europe en passant par l’Ukraine) sont délibérément épargnés par la guerre. Même l’exclusion radicale de la Russie du SWIFT reste des paroles en l’air (et ne peut rester que des paroles en l’air). L’exclusion mentionne certes un certain nombre de banques russes, mais pas les banques centrales russes comme la Sberbank et la Gazprombank. Il est donc toujours possible de faire des affaires relativement facilement avec le gaz et le pétrole russes. Le capital est international et ne connaît pas de frontières. Il en va de même pour l’industrie de l’armement qui, selon les lois du marché, fournit également des armes, des drones, des panzers et de l’équipement de technologie militaire à l’ennemi ultérieur. Les sanctions actuelles sont uniquement évaluées en fonction du fait qu’elles créent une image humanitaire et libérale de l’Occident et qu’elles ne mettent pas en danger les propres intérêts économiques. Même si la bourgeoisie russe est sanctionnée, cela reste dans un cadre qui est pesé. Les oligarques dont on parle tant ont de bonnes relations internationales et sont des acteurs importants de l’industrie et du marché internationaux. Les sanctions visent les biens des oligarques russes, mais pas leur capital, car leur capital est lié à des entreprises globales. La guerre n’est pas en dehors des conditions capitalistes, mais en plein milieu, et les affaires continuent, pendant que des gens meurent en Ukraine.


Pourquoi la guerre existe-t-elle ? Pourquoi les conventions et les États peuvent-ils se mettre d’accord sur ce qui est interdit dans la guerre, mais pas sur le fait que la guerre est interdite ? Il semble cynique de dire que la bombe atomique devrait empêcher les guerres ou une autre guerre mondiale. Les facteurs économiques peuvent rendre la guerre explicable, mais seulement jusqu’à un certain point. Certes, le marché lui-même produit toujours des victimes ou des situations dans lesquelles un investissement ne vise qu’à éliminer la concurrence directe. Ou encore, l’accumulation globale de capital produit elle-même régulièrement des crises qui peuvent se transformer en guerres. Pourtant, toutes les argumentations économiques ou même matérialistes-historiques omettent le rôle de l’État (et surtout son rôle historique de volonté de puissance). En bref, la guerre ne s’explique pas exclusivement par des aspects économiques.

L’État est l’organisation du pouvoir sur l’homme. Le produit de cela est le citoyen, un sujet sans volonté

Le caractère essentiel de l’État est sa “volonté de puissance”. L’État moderne, tel que nous le connaissons aujourd’hui, trouve son origine dans la guerre et elle est toujours restée essentielle, qu’un État soit dictatorial ou démocratique. C’est l’état qui est responsable des massacres et des meurtres de masse les plus horribles. Et ce, non pas par la cupidité d’individus particuliers, mais par une volonté structurelle de domination. L’histoire de l’État est celle de la soumission, de la force et de la guerre. L’État est l’organisation du pouvoir sur l’homme. Le produit de cela est le citoyen, un sujet sans volonté. Dans ce sens, la guerre n’est vraiment qu’un prolongement de la politique. Les plus grandes victimes de la guerre entre États sont toujours les hommes (comme aujourd’hui dans la guerre en Ukraine, les hommes qui vivaient ou vivent là-bas). Aucune autre situation que la guerre ne fait prendre conscience que l’on n’est qu’un sujet (en temps de paix, on en est probablement moins conscient). On est victime de la politique, victime de négociations autour d’intérêts de pouvoir. D’un autre côté, les sanctions décidées touchent indifféremment la population russe, qu’elle soit en Russie ou à l’étranger (car elle ne peut plus retirer d’argent à l’étranger, les sportives russes sont exclues des compétitions, etc.) Car comme nous l’avons dit, en tant que citoyens, ils sont des objets sans volonté et sont traités comme tels par les autres États. Même sur place, lorsque des gens ont fui l’Ukraine, des personnes ont été contrôlées et bloquées à la frontière, selon des critères racistes. Comme nous l’avons déjà dit, la guerre n’a pas lieu en dehors des conditions existantes.

La guerre est aussi toujours une politique intérieure. Historiquement, la guerre garantit presque toujours la domination du chef d’État. Alors que la popularité de Poutine était au plus bas depuis dix ans à la fin de l’année 2013, elle est remontée en flèche en février et mars 2014 avec l’annexion de la Crimée. Début 2022, la popularité de Poutine était à nouveau très basse (presque au même niveau qu’en 2013) et semble, pour autant que l’on puisse en juger aujourd’hui, être en hausse (même si elle est moins élevée qu’en 2014). L’attaque militaire vers l’extérieur va de pair avec l’offensive “intérieure” pour l’uniformisation (et la répression contre tout et tous ceux qui dérangent la tonalité nationale). A cet égard, l’Etat, et en l’occurrence Poutine en tant que principal acteur étatique, jouent un rôle élémentaire dans la guerre et ne se contentent pas de faire de la figuration dans le spectacle économique. L’action de Poutine est l’expression de la volonté de puissance de l’Etat. Le pouvoir est le véritable problème et doit être détruit au lieu d’être pris en charge. Tous les États sont en concurrence permanente pour le pouvoir. C’est pourquoi les États s’arment en temps de paix. Chaque État institutionnalise la violence (militaire) et comporte toujours une menace de guerre. La diplomatie ne sert qu’à masquer le fait que les États sont constamment prêts à la guerre.


Si l’on pense la paix uniquement à l’intérieur de ce qui existe, cela brouille le terme. La paix devient simplement la situation où il n’y a pas de guerre. Mais la guerre n’est-elle pas planifiée en temps de paix ? Chaque État est-il non seulement toujours prêt à faire la guerre, mais aussi en état de “guerre” permanent contre sa propre population ? Est-ce qu’il n’y a pas en permanence une guerre sociale, afin que le peuple se soumette aux contraintes hégémoniques, au travail et à la domination ? Accepte-t-on la paix, uniquement comme une paix sociale, dans laquelle les conditions d’exploitation et de propriété ne sont pas attaquées ? N’est-ce pas simplement une paix du pouvoir ?

La guerre est d’un coté un conflit capitaliste et interétatique, d’autre coté, elle est une manifestation de la volonté de maintenir le pouvoir. On ne peut pas comprendre la guerre en Ukraine sans se retourner vers l’année 2013/2014. A l’époque, des personnes étaient sorties dans les rues de différentes villes ukrainiennes pour protester contre les autorités. Les États européens ont tenté de vendre les images de Kiev de manière que les habitants y réclament plus de démocratie et de proximité envers l’UE. Leur argumentation était que les protestations de Maïdan avaient pris leur départ parce que le gouvernement ukrainien avait pour l’instant refusé de signer un rapprochement avec l’UE. Parallèlement, des personnes souhaitant devenir indépendantes de Kiev sont descendues dans les villes du sud et de l’est de l’Ukraine. La Russie en a profité à l’époque et en profite encore aujourd’hui pour renforcer son influence dans cette région (riche en ressources). Les raisons de l’échec des insurrections restent à discuter ailleurs. A Kiev, des cadres nazis militants se sont battus pour prendre la tête des manifestations, un nationalisme naissant a pacifié la révolte sociale en niant les intérêts de classe opposés (ceux des exploiteurs et des exploités). Dans le Donbass, “leur révolution” a été récupérée par la bourgeoisie russe, alors que seul le caractère politique des républiques populaires autoproclamées a changé, les anciennes conditions d’exploitation sont restées en place. L’invasion russe du 24 février noie finalement le soulèvement dans le sang.


Et maintenant, que faire si l’on ne veut pas prendre parti dans une guerre entre États ? Si l’on est contre la guerre, mais aussi contre un faux semblant de paix ? La faiblesse d’une position antimilitariste se retrouve trop souvent dans le fait que l’on se laisse finalement rallier à un camp. Le mouvement pacifiste n’a jamais réussi à s’attaquer à la guerre dans son ensemble et est devenu, au pire, un jouet entre les puissances. Où étaient les protestations lorsque les armées russes (troupes d’OTSC) ont écrasé les révoltes sociales au Kazakhstan en janvier de cette année ? La paix n’est jamais que la paix du marché, la paix sociale, la paix du pouvoir. Si l’on est contre la guerre, on devrait s’opposer aux conditions qui reposent sur l’exploitation et l’oppression. La lutte contre l’attaque russe contre l’Ukraine ne doit pas être seulement symbolique, mais elle peut tenter de nommer clairement ceux qui en profitent (y compris et surtout ceux qui sont dans leur propre pays) et de s’y attaquer. Selon l’ancien slogan, toujours d’actualité, “la guerre commence ici”, alors autant l’attaquer ici contre la guerre.

Les bombes, les ruines, la misère sont le résultat de l’existant. Le silence ne signifie pas la paix, car les rouages de l’exploitation et de l’oppression continuent de tourner.

Pas de paix avec l’existant !

Contre la guerre, contre la paix sociale!

Pour la révolution sociale.